|
|
· Récit d'un curé concernant le "grand hyver" 1709 à Vougy Ce texte met en évidence les
dures conditions dans lesquelles vivaient nos campagnes durant les grands froids
du 18ème siècle. Il est fait allusion aux méfaits du froid sur
Nandax. Le
soir du six janvier, il commença à faire froid, et ce froid fut si
extraordinaire et si violent pendant cinq à six jours qu'on disait n'en avoir
jamais vu un semblable. Le temps se radoucit et il fit quelques pluies et
neiges, qui rétablirent en apparence tout ce que la rigueur du froid avait
beaucoup mortifié. Mais il survint un second froid vers le vingt janvier,
qui fut plus violent et plus aigu que le premier qui fit beaucoup de mal,
puisqu'il tua et fit mourir beaucoup de pauvres, qui, s'étant couchés se
portant assez bien, on les trouvait le lendemain matin morts par la rigueur du
froid. Il mourut beaucoup de bétail, boeufs, vaches, chevaux, ânes, beaucoup
de brebis et d' agneaux. On crut que toutes les brebis et agneaux périraient et
on fit tout ce qu'on put pour en échapper quelques uns. On les mettait auprès
du feu ; on les y faisait manger, et où les étables ne se trouvaient pas assez
chaudes pour empêcher le bétail de souffrir extraordinairement, le poil tomba
à la plus grande partie des boeufs, des vaches, des chevaux et des ânes, de
manière que les pauvres bêtes faisaient horreur. J'ai enterré une douzaine
tant d'hommes que de femmes qui sont morts par la violence du froid. J'ai oublié
de parler de la quantité en poules, dindes, oies qu'on a trouvées mortes de
froid, dans les génissiers, aussi bien que de petits oiseaux de toutes espèces
qui se retiraient dans les maisons pour se mettre à couvert et se garantir du
froid. On a trouvé beaucoup de perdrix, de lièvres ainsi que beaucoup de
petits oiseaux morts par le froid, et jamais on n'a vu moins d'oiseaux dans les
campagnes surtout au printemps de 1709 et 1710. Ce n'est pas encore le plus
grand mal que nous a fait l'hiver. Voici le fléau violent. Tout ce qu'on
avait semé en blé, froment et autres grains qui passent l'hiver en terre gela
entièrement et universellement dans tous les meilleurs pays et provinces du
royaume ; si bien qu'on ne recueillit aucun blé ni froment, pas même pour
semer en 1710. Il y eut quelques particuliers qui semèrent incessament après
l'hiver quelques mesures du seigle qu'on appelle tramois et qui en cueillirent
assez honnêtement pour le peu qu'ils avaient semé. Enfin la cherté du blé
commença au moins de janvier 1709 et alla toujours en augmentant de prix
jusqu'au mois de juin, si bien que le seigle se vendait au commencement de mai
jusqu'à huit livres dix sols, mesure de Charlieu, et le froment neuf livres dix
sols, le pain blanc cinq sols et demi et quatre sols celui de seigle gros pain. Jamais
on n'a vu tant de pauvres misérables, tant de larrons ni de fripons. La pauvreté
donnait lieu et inspirait à beaucoup de personnes à voler et à dérober. Les
personnes qui avaient quelque chose avaient bien de la peine à empêcher d'être
dérobées. On volait de nuit et de jour boeufs, vaches, moutons et meubles. On
ne laissait rien dans les jardins. Il y avait très peu de personnes qui se
trouvassent en état de secourir les pauvres par quelques aumônes. Les années
précédentes, les pauvres étaient difficiles à contenter par l'aumône qu'on
leur faisait et ils la méprisaient surtout lorsqu'on ne donnait que du pain ;
mais ces deux années ils en ont demandé et ils n'en ont pu avoir que dans
quelques maisons. Ils étaient bien aise lorsqu'on leur donnait une rave grosse
comme un oeuf et ils la prenaient avec plus d'humilité et faisaient plus de
remerciements pour cette petite rave qu'ils n'en faisaient pour une livre de
pain lorsqu'il était commun. La famine a été si grande qu'on ne peut
concevoir la quantité de personnes mortes de faim dans les chemins en allant
demander l'aumône. Il y en eut beaucoup de dévorées par les chiens et
les loups ; enfin il est mort pour le moins la moitié des habitants de cette
paroisse. Il est resté très peu d'enfants. Il est peu resté de
monde à Pouilly et à Nandax. De quatre cent dix communiants que j'avais
en 1708, il ne m'en est resté que 240[1]. Il
se faisait beaucoup de pain de fougère[2],
et en toutes les paroisses voisines, aussi bien qu'en celle-ci, on voyait à
l'issue de la messe paroissiale, à la porte des églises, beaucoup de pains de
fougères et de gaufres qu'on vendait assez chèrement. On vendait une gaufre un
sol et deux sols la livre de pain de fougère. On n'avait jamais tant vu de
ravanelles dans les terres qu'il y en eut cette année-là. Il s'en mangea une
prodigieuse quantité. On en faisait cuire de grands pleins chaudrons, que
l'on mangeait sans pain, sans sel et sans beurre. J'ai vu beaucoup de personnes
ramasser des herbes dans les prés qu'elles mangeaient toutes crues. Il se
mangea beaucoup de chiens et de chats que l'on écorchait ; on mettait la viande
sur le gril, qu'on mangeait à moitié grillée. Il y en a beaucoup qui
mangeaient la viande toute crue. Il ne se cueillit presque point de vin en
1709. Il fut extrêmement cher au mois de juillet et d'août de 1710. La
botte de vin se vendait cent dix livres et s'est vendue jusqu'à cent cinquante
livres. Des marchands de Fleury, au delà de Charlieu, en menèrent quelques pièces
du côté d'Orléans qu'ils vendirent jusqu'à soixante escus. En 1710 il se
cueillit assez de blé, seigle et froment pour le peu qu'on avait semé, mais
beaucoup de menus grains, fèves, bréchères, orges, avoines, ce qui sera d'un
grand secours, parce que l'on a semé et l'on sème la plus grande partie de
froment et de seigle qu'on a cueillie. Il en est resté si peu, que les trois
quarts des gens ne mangèrent que du pain d'orge, buchère et fèves. On n'a
jamais vu faire si peu de vin et l'on ne l'à jamais vu si cher qu'en cette année
1710, en vendanges, car il se vend jusqu'à 60 sols la pièce, et c'est à qui
des marchands de Paris et d'ailleurs pour en avoir." (Registre
paroissial de Vougy, Archives Départementales de la Loire) [1] La visite pastorale de 1746 signale qu'il y avait cette année- là 240 communiants à Nandax. [2]
En Europe, on a fait parfois appel, durant les périodes de famine, aux
rhizomes moulus pour la préparation d'un pain de fougère de très mauvaise
qualité, voire à du pain à base de glands ou d'écorces. |
|